L’observation de l’égalité des chances

L’égalité des chances constitue une modalité spécifique du concept d’égalité sociale, et peut donc être mise en rapport contrasté avec d’autres modalités, et notamment avec l’égalité des résultats. Dans cette partie, nous essaierons de montrer que l’égalité des chances et l’égalité des résultats dépendent tous deux des propriétés sémantiques particulières du concept d’égalité. L’égalité et l’inégalité sociales sont des constructions qui servent à une observation comparative des relations sociales. En termes logiques, l’égalité peut se distinguer de l’identité. Alors que l’identité ou la non-identité sont des relations absolues, l’égalité et l’inégalité n’existent comme telles qu’en référence à X (Sen, 1992). Quiconque applique le concept d’(in)égalité doit donc choisir le X par rapport auquel s’effectue la comparaison. C’est pourquoi toute application concrète du concept d’(in)égalité comporte un moment de choix et a donc un caractère contingent. Dans le vocabulaire de Luhmann (1995), cela revient à dire qu’une telle application constitue une observation. Nous ne rejetons pas l’idée selon laquelle certaines différences entre individus sont si frappantes qu’un observateur se sente habituellement contraint d’y prêter attention (la taille, la couleur de la peau, les capacités physiques ou intellectuelles, la propriété…). En revanche, nous considérons que, dans le cadre des débats sur la protection sociale, il n’y a aucune distinction entre individus qui doive nécessairement être notée. Dans ce cas, l’observation de l’égalité ou de l’inégalité constitue toujours un choix, puisqu’il existe toujours plusieurs dimensions de comparaison susceptibles d’être appliquées. Par exemple, il dépend de l’observateur de voir deux individus comme, disons, inégaux en termes de couleur de peau, égaux en termes de citoyenneté, inégaux en termes de richesse… Pour les besoins de cet article, cela signifie que nous ne faisons aucun postulat quant à l’égalité ou à l’inégalité fondamentales des groupes sociaux. Il ne nous intéresse pas d’observer l’égalité ou les inégalités entre des groupes sociaux en tant que tels, quelle qu’en soit la nature, mais plutôt d’observer comment les groupes sociaux sont observés dans le cadre des débats sur la protection sociale. Du fait que toute application de l’(in)égalité constitue une observation contingente, résultent plusieurs conséquences intéressantes. Tout d’abord, cela signifie que deux objets non identiques quelconques peuvent toujours s’observer soit comme égaux, soit comme inégaux : c’est l’observateur qui en décide librement par le choix de X. Ensuite, cela signifie que toute observation d’inégalité peut se contrer par une observation d’égalité, et vice versa. Au niveau logique, ces deux observations contraires sont équivalentes : ce sont les facteurs contextuels qui détermineront laquelle accédera à l’influence sociale. Enfin, cela signifie que la société ne saurait valider toutes les prétentions possibles à l’égalité. La légitimité de celles-ci est une ressource potentiellement contestée, et donc rare. Comme nous chercherons à le montrer ci-après, une préférence généralisée pour une modalité d’égalité sociale par rapport à une autre constitue un dispositif social essentiel pour la limitation et la canalisation des prétentions égalitaires. Ces dernières années, c’est l’égalité des chances qui a bénéficié d’une telle préférence par rapport à l’égalité des résultats.

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