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L’Ukraine Aux Limites De L’Europe ?

Aux premiers temps de l’indépendance ukrainienne, les doutes quant à la viabilité du nouvel État étaient sérieux. La transformation de l’Ukraine en zone de troubles ou de conflits, ou en État autoritaire, était considérée par la Pologne à la fois comme une possibilité sérieuse et comme une menace en raison de la longueur de la zone de contact entre les deux pays. C’est le sens de l’encouragement permanent donné par la Pologne aux progrès du processus de transition en Ukraine. 11Par ailleurs, la situation de celle-ci entre la Pologne et la Russie a été un déterminant de lapolitique polonaise à l’égard de l’Ukraine. La Pologne considère en effet que la liberté et l’indépendance de l’Ukraine garantissent celles de la Pologne et fait sienne l’idée de Zbigniew Brzezinski – lui-même d’origine polonaise et dont la famille venait de Lviv – selon laquelle, « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire euro-asiatique ». La politique polonaise vis-à-vis de l’Ukraine vise donc à favoriser son indépendance par rapport à la Russie, à la fois pour affaiblir celle-ci et pour éloigner la Pologne de sa sphère d’influence directe. Aujourd’hui, on rencontre en outre couramment l’idée que pour aider la Russie à devenir une démocratie à part entière, il faudrait la pousser à conjurer toute tentation impérialiste. On voit bien ici le poids des représentations, héritées à la fois de la période 1945-1991 mais aussi de la disparition de la Pologne entre 1795 et 1918, dans les déterminants de la politique extérieure polonaise vis-à-vis de la Russie. 12En troisième lieu, la politique de la Pologne est aussi déterminée par une perception particulière de l’Ukraine. Les deux pays ont en effet une histoire commune très riche et la partie ouest de l’Ukraine est dans une certaine mesure connectée culturellement et économiquement à la Pologne. Les échanges transfrontaliers, souvent illégaux, entre cette région et la Pologne étaient assez denses avant l’intégration de la Pologne dans l’UE. Le tourisme polonais y est important, favorisé par la présence de lieux de mémoire polonais qui rappellent divers épisodes de la lutte nationale polonaise. En outre, la Pologne voit dans l’Ukraine un voisin avec lequel la coopération économique pourrait être fructueuse. Le différentiel de niveaux de vie de part et d’autre de la frontière pourrait en effet rendre intéressants des investissements polonais en Ukraine. L’Ukraine représente un marché de près de 50 millions de consommateurs et pourrait offrir des débouchés à l’industrie polonaise. 13Les dirigeants polonais ont donc opté, dans les années 1990, pour le développement d’un partenariat avec l’Ukraine. Cette politique a connu une certaine permanence quels qu’aient été les gouvernements polonais mais on peut sans doute considérer que parmi ses promoteurs les plus efficaces comptent Bronislaw Geremek, longtemps ministre des Affaires étrangères et aujourd’hui député européen, ainsi qu’Alexandre Kwasniewski, président de la République de Pologne, et Marek Siwiec, ancien chef du Bureau de la sécurité nationale auprès du président (BBN), proche du président Kwasniewski, qui fut un des artisans de ce partenariat. Il a été élu député européen et fut désigné pour diriger la délégation de l’Union européenne auprès de l’Ukraine. 14Logiquement, la Pologne a aussi pris une posture de soutien à l’Ukraine sur la voie de l’intégration européenne. Depuis son intégration à l’UE, la Pologne n’a pas abandonné cette posture. Elle a ainsi tenté de minorer les effets négatifs de l’établissement de la frontière de l’UE sur la frontière polono-ukrainienne. Elle fut l’un des derniers États à imposer un visa aux citoyens ukrainiens. Varsovie prit aussi des mesures visant à minimiser les conséquences négatives de cette introduction de visas. Des visas gratuits sont ainsi délivrés, ainsi que des visas multientrées et des visas de long séjour. 15Par ailleurs, le président Kwasniewski a joué un rôle important dans la résolution de la crise liée à l’élection présidentielle de 2004. De même que Lech Walesa, il a participé aux négociations entre les deux camps rivaux et a été partie prenante de la médiation internationale auprès du président Koutchma visant à faire prévaloir la transparence et le respect des normes démocratiques dans la tenue de ce scrutin. Enfin, la Pologne réaffirme régulièrement que l’Ukraine constitue une priorité de sa politique étrangère et que l’UE doit lui offrir une perspective d’adhésion, ne serait-ce que pour y favoriser les réformes. 16Selon Leszek Minalto, conseiller de l’ambassade de la République de Pologne à Paris, en charge de l’Europe de l’Est, « après le résultat des référendums français et néerlandais, le rôle de la Pologne au sein de l’UE ne change pas. La Pologne cherche de nouveaux alliés pour soutenir sa position par rapport à l’Ukraine. Les avancées de la politique de l’UE vis-à-vis de l’Ukraine seront retardées du fait de l’impossibilité de mettre en place une politique extérieure centralisée. La Pologne souhaite voir se réaliser un partage des tâches et des responsabilités relativement à la politique extérieure de l’UE ». Dans ce cadre, la Pologne aurait en charge la politique orientale de l’Union et le développement du partenariat avec ses voisins orientaux.