Vous en avez peut-être entendu parler : il y a depuis quelques mois une « petite » polémique concernant le burkini sur nos plages. Je ne veux pas revenir ici sur la controverse elle-même, mais plus sur ce qu’elle nous apprend de nos élites. Car cette polémique a à mon sens démontré la mesquinerie qui domine dans la sphère politique. A l’occasion d’un séminaire à Issoire en Auvergne, j’ai d’ailleurs eu l’occasion d’en discuter avec quelques personnes, et si le débat était dans l’ensemble assez mouvementé (en ce qui concerne le burkini), tout le monde s’accordait tout de même à dire que nos élites ont fait étalage de leur incompétence sur cette question. Sarkozy en première ligne. Le candidat aux prochaines élections exhorte d’ailleurs depuis peu à changer la Constitution pour arrêter quel maillot de bain doit être autorisé ou non. Rien de moins. Je vous laisse imaginer la taille de la Constitution si l’on en venait à légiférer de tels détails ! Le burkini a en tout cas été clairement le divertissement de l’été. Ce maillot de bain quasi inexistant en France (qui en a vu sur la plage et combien ?) a fait parler chaque politicien qui ne voulait pas être en reste face à ses camarades. Quitte à dire n’importe quelle ânerie ou ne pas connaître son sujet, d’ailleurs. Mais cette distraction convient tellement bien à tous, au fond : elle permet de ne pas réfléchir aux vrais problèmes. Je ne prétends pas pour autant que le burkini est sans danger : je crois même qu’il représente un vrai problème. Mais pas parce qu’il serait une provocation délibérée suite aux attentats, comme ont pu le dire certains. Le problème réside dans le fait que là où il s’implante, il devient vite la norme. Les plages marocaines le montrent assez bien. Si les autorités ont voulu que les burkini puissent cohabiter avec les bikini sur les plages (pour que chacun puisse vivre comme il l’entend, ce qui est en soi louable), force est de constater que c’est le burkini finit par s’imposer, alors que le reste tend à disparaître, les femmes qui le portent se sentant trop observées. Mais il est important de comprendre que le fond du problème n’est pas là. Et l’attention que les politiciens portent à cette question est un aveu de plus de leur simple rôle de gestionnaire. Soit dit en passant, et même si les débats avec mes collègues ont été assez houleux, ce séminaire en Auvergne a été très intéressant. Vous pouvez jeter un oeil au site de l’agence qui s’en est chargé, si ça vous intéresse.
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Conférence d’Issoire sur le burkini
Rodin : les débuts contrariés d’un dessinateur prodige
Tout en se caressant le menton, Jean-Baptiste Rodin, qui a été récemment nommé inspecteur de police, regarde de biais son fils assis à la table. Il dessine, le nez au ras du carnet dont presque toutes les pages sont couvertes de croquis. Né en 1840, Auguste Rodin a maintenant quatorze ans. Le poil roux, de petite taille et chétif, le garçon n’a cessé de décevoir son père. Il l’avait tout d’abord confié à l’école des Frères de la doctrine chrétienne, où Jean-Baptiste avait été convers lorsqu’il était arrivé à Paris d’Yvetot en Normandie, mais Auguste n’apprenait rien ou presque. À ses onze ans, Jean-Baptiste l’a envoyé à Beauvais en pension chez son frère dans l’espoir que l’oncle Hippolyte, un professeur austère, féru de botanique, réussirait à réveiller cette «poire molle». Deux ans plus tard, force fut de se rendre à l’évidence, Auguste était inapte à poursuivre les études sérieuses qui lui permettraient de faire carrière dans l’administration. Lent, distrait, rétif au latin, il ne s’intéresse qu’au dessin depuis sa plus tendre enfance. Sa mère, au lieu de l’en détourner, s’en amuse. Jean-Baptiste soupire. Toutes les ambitions qu’il a pu nourrir pour son fils unique ne sont plus de saison. Il est désormais résolu à le placer en apprentissage afin qu’il acquière un métier. Mais sa femme et sa fille aînée ne cessent de le tarabuster pour qu’il autorise Auguste à intégrer l’École spéciale de dessin et de mathématiques, surnommée «Petite École» pour la distinguer des Beaux-Arts, qui est gratuite. Marie et Maria ont toujours défendu Auguste. Elles sont convaincues qu’il a un don. Mais crayonner, ce n’est pas une profession! Jean-Baptiste Rodin en a vu, des artistes devenus ivrognes et vagabonds, au dépôt de mendicité de Saint-Denis ou à la Conciergerie, quand il y travaillait! Il ne veut pas que son fils suive les traces de ces fainéants. C’est bien assez que sa fille Clotilde, née d’un premier mariage, ait mal tourné. À la maison, il a interdit qu’on prononce ne fût-ce que son nom. Auguste tombait sur une gravure et s’empressait de la reproduire. Futée, Maria, qui, contrairement à son frère, a toujours bien étudié chez les sœurs, dit qu’après la Petite École, Auguste pourrait se présenter aux Beaux-Arts et, qui sait?, devenir prix de Rome! Elle cite aussi en exemple les trois fils de la tante Thérèse, la sœur de Marie Rodin, qui se sont orientés vers des métiers d’art. Quant à Marie, presque tous les jours elle lui rappelle avec quelle patience Auguste lisait les pages de livres illustrés dont son épicier faisait des sacs pour envelopper les fruits! Parfois, le petit garçon tombait même sur une gravure et s’empressait de la reproduire. Jean-Baptiste s’est levé. Il fait quelques pas, puis se rapproche d’Auguste et se penche par-dessus son épaule. Son fils ne lève même pas la tête de son carnet. Il dessine une main. On la dirait vivante. Peste soit des femmes! Peste soit de ce garçon si silencieux, qui semble vivre dans un monde à part! Jamais il ne proteste. Jamais il ne se rebiffe. Oh! pour ça, Jean-Baptiste n’a pas à se plaindre. Ce n’est pas Auguste qu’on retrouvera un jour sur des barricades! L’inspecteur en a vu, des garnements, parmi les révoltés de 1848! C’était pitié! D’un autre côté, Jean-Baptiste, qui aime tant l’ordre, regrette presque que son fils soit si indolent. Toujours à rêvasser. Même le dimanche à l’église. Combien de fois Jean-Baptiste l’a exhorté à se prendre en main, à ne plus être aussi «chimérique». Il lui répétait que quand on veut, on peut. Auguste regardait son père comme s’il ne le voyait qu’à travers une brume, puis baissait les yeux. Rien n’y a fait. Poire molle il est. Poire molle il reste. Qu’il y aille, puisqu’il y tient tant, dans cette Petite École! Mais à une condition! Devenu peintre ou sculpteur, il faudra qu’il se hisse au premier rang! Pour bénéficier de commandes de l’Empire! Et qu’après sa mort, on lui rende les plus grands hommages, comme à… Jean-Baptiste cherche le nom d’un artiste fameux. N’en trouvant pas, il fronce les sourcils et prend son air le plus sévère pour annoncer à son fils qu’il consent à lui donner une dernière chance de ne pas être un simple ouvrier. Auguste en a lâché son crayon. Il sourit à son père. Un peu niaisement. Mais dans ses yeux gris pâle une lueur vient de s’allumer. Comme des paillettes de mica. À l’occasion du centenaire de la mort de Rodin, Le Figaro Hors-Série consacre un numéro exceptionnel au sculpteur.